Le sergent Harvey Bullock annonça :
« Spider Girl. »L’antre des flics était d’un froid polaire à cause de la clim qui déconnait, s’enclenchant quand il ne le fallait pas. Les deux connards en face de lui se servaient des whisky-sodas et des chips de maïs, en pleine heure de service. L’agent Woodrell avait la grippe et reniflait sans cesse. L’agent Fritsch n’arrêtait pas de tripoter son alliance. Il faisait ça les jours où il trompait sa femme. Bullock avait une tête harassée. 36H sans sommeil à force de suivre son enquête sur la femme suicidée.
9h du soir. Gotham avait pour Bullock l’aspect d’un mauvais rêve engendré par la fièvre. Ses heures éveillées sans sommeil se distendaient de façon disproportionnée. L’agent Fritsch lui fit passer une série de portraits anthropométriques : 3 photos du même individu. Une de face et deux de profil. Inscrit au dos : multiples condamnations pour Hacking depuis 2012.
« C’est tout ce qu’on a Bullock, comme Hackeur du moment. Je vois pas qui d’autre pourrait être ta foutue « Spider Girl ». Inconnue au bataillon. »
« Elle existe et vous allez me la trouver. »Woodrell commenta :
« Et ça y, Bullock joue encore les limiers de l’impossible, à traquer des fantômes. »
Fritsch ajouta :
« Planquez les mômes, il va encore fouiller toute la ville de fond en comble en distribuant des coups de matraque. »
« Vous êtes les deux glandus de la surveillance informatique du GCPD et vous voulez me faire croire que vous n’avez qu’un seul hacker sous la main ? Soit vous êtes nuls, soit on vous a acheté.»Woodrell avala bruyamment une gorgée de son whisky-soda.
« Allez Harvey, si t’as besoin d’un coupable désigné pour truquer un de tes dossiers d’enquête, on veut bien te refiler ce hacker là. »
Il tapota la photo.
« Le comté du New Jersey croit à sa culpabilité dans deux affaires de hacking. Donc ce n’est pas précisément un membre éminent de la société. De plus il s’est souvent fait chopper récemment à force de se shooter aux barbituriques. Alors il fera un témoin minable au tribunal. Ce genre de tocard a tendance à ennuyer les jurys composés des bonnes gens de Gotham, qui les déclarent coupable juste par principe. »
Fritsch grignota un chips :
« On a une empreinte de lui sur un transparent. On peut te la donner pour que tu la colles sur ta scène de crime et antidater tout ça. »
Woodrell se massa la nuque :
« Tu nous donnes juste 200 dollars Bullock, et à toi les honneurs pour l’avoir fait plonger pour de bon. Et tu refiles juste 100 dollars aux mecs du labo pour les arroser afin qu’ils collent l’empreinte sur ta scène de crime. »
« Non. »Woodrell se figea au milieu d’une gorgée. Fritsch se figea au milieu d’une bouchée.
« Allez vous faire foutre. »Woodrell s’empourpra. Les mains de Fritsch flageolèrent. Bullock prit la porte.
…………………………
A arpenter le pavé tout seul pour trouver « Spider Girl. »
Bullock faisait en voiture, la tournée de tous les clandés à ordi et cyber-cafés. Il s’était dressé une liste dans l’annuaire informatique de la ville. Il pleuvait. Bullock se tapa 16 endroits différents. Il exhibait ses deux ou trois notes rédigés avec le pseudo de « Spider Girl » et cassait l’ambiance partout d’un seul coup avec sa voix d’emmerdeur. Son insigne de flic faisait flipper les employés aux nerfs fragiles, partout où il passait. Quelques crétins y allèrent de leur numéro de « non à l’intimidation policière ! »
Bullock se dirigea vers le Nord-Ouest. Cela faisait 5h d’affilées qu’il rôdait dans Gotham. Il avait finit d’écumer les quartiers sud. Prochaine étape : Park Row. Il rendit visite à une imprimerie de Fountain Avenue, connue pour avoir déjà fait hacker le système informatique de ses concurrents. Puis à une autre entreprise louche sur Giordano Boulevard, qui avait fait de même. Entre deux arrêts, il écoutait la radio de police. On ne chômait pas sur la fréquence du GCPD. A chacune de ses visites, Bullock obtenait pour toutes réponses : « Non » et « Non Monsieur ». Il partit vers l’est. Il vit deux opérateurs informatiques dans Vine Street et Wilton Place. Un boutonneux rit comme un âne en voyant Bullock entrer en mangeant un donut. Sérieux ? Il ressemblait à ce point là à la caricature du flic ?
Il entra finalement dans un cyber-café style repaire de jeunes, dans Vermont Avenue. Il sentit une odeur de marijuana. Derrière le comptoir, deux mômes genre 20 ans titubaient et faisaient les imbéciles en souriant jusqu’aux oreilles. Ils virent Harvey et comprirent quel métier il exerçait. Un joint passa de la fille au garçon. Le garçon bouffa le mégot. Harvey exhiba sa note « Spider Girl ». Le garçon dit :
« Ouais et alors ? C’est illégal pour les gens d’avoir un pseudo sur le net ? »
La fille gloussa. Ils examinèrent la note de Bullock et le pseudo. Bullock étala sa paperasse pour qu’ils profitent mieux de la signature en code informatique de sa hackeuse. Le garçon qui croyait que le GCPD l’avait repéré pour avoir fait appel à elle, s’offusqua :
« On est en démocratie ! »
« Je m’en fout de ce qu’elle a fait pour vous, je veux juste son adresse. »La fille gloussa. Le garçon gloussa.
« Pour certains boulots, elle se fait payer en liquide pour être sûre que personne remonte jusqu’à elle pas vrai ? Je suis sûre d’ailleurs que vous avez réussit à la voir en chair et en os, parce qu’elle est venue de temps en temps ici comme habituée, avant que vous ne lui demandiez ses services de hackeuse. »La fille dit :
« C’est de la censure ! »
Le garçon répéta :
« On est en démocratie ! »
Bullock alla jusqu’à la porte, ferma le verrou, et revint. La fille se mordit les lèvres. Bullock s’assouplit les doigts. Le garçon se ratatina.
« L’adresse, tout de suite avant que je m’énerve. »…………………………
Quartier de merde, loyers minables. Le décor : terrains vagues et quelques bouts de métro aériens au dessus. Quelques autocollants vieillis et délavés « Votez Harvey Dent ! » qui avaient été gardés en souvenir sur les pare-chocs de quelques bagnoles. Relique nostalgie de l’époque des élections idéalistes du District Attorney de la ville, avant qu’il ne vire psycho avec sa pièce.
Voilà l’adresse. Immeuble d’appartements individuels, chacun sa porte, sa sonnette et sa boite aux lettres, répartit sur 3 étages à palier, genre taudis. Coincé entre un drive-in et un magasin de spiritueux. Bullock enfonça le bouton de la sonnette. Un son strident à réveiller les morts.
Rien.
Il colla l’oreille contre la fente du côté des gonds et n’entendit que l’air immobile d’une pièce vide. Il attendit 30 secondes puis il inséra son sésame de poche entre le chambranle et la serrure, bien décidé à faire céder la porte pour une petite fouille illégale. Hé hé hé…
La porte s’ouvrit aussitôt. Bullock avec sa tête de con, prit au dépourvu.
Voilà Liu Nan, avec son visage qui disait clairement : je-vous-emmerde.
Fiche codée par NyxBanana