[En cours] Fracture psychique

Le soleil avait percé le ciel et baignait la ville de lumières timides qui contrastaient avec l'antithèse que représentait Gotham. Alors que la clarté s’était installée sur la ville, ce fut en cette matinée que débuta une promenade en voiture. En fait, ce n'était pas vraiment une balade, ça ressemblait plus au trajet de retour après un enterrement, vous savez, celui où tout le monde rentre chez lui avec le visage morose.
Quoiqu'il en soit, le monospace gris continua sa route, s’engouffrant dans la circulation vers sa prochaine destination, un lieu où on ne faisait pas la fête, un lieu où ne riait pas non plus, ou alors pas beaucoup. « Comme dans un cimetière, mais en plus vivant ». Cette dernière pensée caricaturale, qui comparait le cimetière à leur destination, s'accentua dans la tête d'une des personnes de la petite famille, avant de disparaître aussi soudainement qu'elle était apparue.

Le véhicule abritait trois personnes, à son bord, un couple de 46 et 55 ans et leur fille.Tout d'abord, Madame Mills, la femme aux cheveux Acajou -autrefois blonds- qui se tenait côté passager, fixait la vitre, les yeux vides de toute étincelle, à la recherche de quelque chose à faire. Depuis quelques semaines, elle vivait une vraie tragédie, elle et sa famille, qui avaient connu un réel désastre. Depuis ce jour, elle n'avait cessé de pleurer, ne sachant plus sur qui rejeter la faute de leur malheur, du moins c'est ce qu'elle préférait se dire, car la vérité était toute autre… Son mari, qui semblait encore plus vieux avec ses lunettes, conduisait le monospace en gardant son calme et transpirait l'intelligence comme un de ces singes savants en blouse blanche. Comme d'habitude, rien ne se lisait sur son visage creusé par les années. Il parvenait à garder le contrôle de lui-même, tandis que la radio continuait imperturbablement de diffuser son contenu musical joyeux. Une parfaite opposition des deux ambiances régnait dans l'atmosphère, et si ça n'avait tenu qu'à Warren Mills ou sa femme, la musique aurait été coupée depuis un moment. Mais pour Mary, juste pour Mary, faisons semblant une dernière fois que tout se passera bien, pensa le professeur en regardant dans le rétroviseur intérieur la passagère à l'arrière.

Et à l'arrière du véhicule, la fameuse passagère, un joli petit brin de femme aux cheveux blonds, ses yeux azur gonflés par le liquide lacrymal qui s'était écoulé. Elle se tenait sur la banquette, d'un air encore plus absent que celui de sa mère, comme si elle avait perdu son âme et que seul une coquille vide se tenait là. Nuit et jour elle avait pleuré, elle aussi. Se dégageait d'elle le sentiment de n'être qu'un puzzle incomplet ou la moitié d'un médaillon.
Oui, tout était flou dans sa tête. Ça tournait comme dans un manège, sauf que le rythme était infernal, et qu'à force de tourner sans cesse, la jeune femme avait perdu pied face à la réalité.

Le monospace gris poursuit sa route avec la même ambiance funéraire qu'auparavant, emportant la petite famille dans une succession de virages et de demi-tours interminables. Après plus d'une heure, l'attente arriva à son terme lorsque le professeur Mills, l'homme au volant, s'engagea sur un parking qui ressemblait à celui d'un hôpital privé. L'homme grisonnant ralentit à mesure qu'il se rapprochait d'une barrière de sécurité. Fronçant les sourcils, il était sûr de savoir où il se trouvait mais émit un petit doute en voyant un poste de sécurité juste à côté. Un vigile logeait à l'intérieur. L'agent reposa son magazine en voyant le véhicule s'arrêter et les dévisagea un instant, sans chercher à s'en cacher. Après une longue attente, Warren Mills baissa la vitre côté conducteur avant de s'adresser au vigile, toujours occupé à fixer la famille comme du bétail. Il s’éclaircit poliment la voix avant de se présenter.

-Euh... bonjour. Nous sommes les Mills et... nous venons accompagner Mary...

-Mills...répéta le gardien d'une voix neutre en vérifiant une liste posée sur son bureau. Mills, Mills... ah, voilà. Ouais, on m'a prévenu de votre arrivée, c'est pour… Jenny ? demanda le gardien en détachant les yeux de sa feuille.

-Non, c'est Mary... c'est notre fille, répondit monsieur Mills agacé.

Le vigile s'arrêta pour vérifier le véhicule. Il balaya des yeux le siège avant puis, se concentra sur le siège arrière pour constater qu'une autre personne y était assise. Un malaise s'installa ensuite, composé de coups d’œil furtifs vers sa liste et d'un marmonnement inaudible pour lui-même. Un sourire ironique s'installa ensuite sur son visage avant qu'il ne reprenne la parole.

-Ouais, c'est ça, Mary... Vous pouvez circuler, je suis sûr que le docteur Stawniak vous attend avec impatience... Attendez sur le parking, plus loin, et on viendra vous ouvrir, dit-il en actionnant la barrière de sécurité qui se leva aussitôt.

-Oh, et Ne vous en faites pas, elle va adorer cet endroit. En général, personne ne s'enfuit d'ici en courant. fit-il en gloussant face à son humour solitaire.

Avant de s'engager, Warren Mills le fusilla du regard, autant qu'il le pouvait avant que le véhicule ne démarre et l'emporte loin de cette enflure.

Plus loin, après avoir trouvé une place de parking pour se garer, comme on le lui avait si gentiment dit, se trouvait un portail massif en acier. Entièrement noir, surplombant et dominant le paysage. Les lettres S et M étaient disposées dans un ovale centrale qui composait le cerclage de l'immense portail. Et aussitôt le professeur Mills se souvint du nom de l'hôpital. "L'Hôpital Santa Maria, fondé en 1895 par la mère Anna-Maria Juarez, une importante femme d'église qui s'en servit comme couvant afin d'éduquer les femmes dans le besoin." Il a ensuite été reconstruit en 1948 pour en faire un asile, permettant de prendre en charge les... "personnes ayant des problèmes mentaux" afin de les suivre et de leur apporter confort et tranquillité. Voilà pour les grandes lignes.

Il ne fallut pas longtemps pour que l'immense portail ne s'ouvre, dans un bruit de grincement qui suggérait un entretien à base d'huile ou de graisse, pour éviter ce genre de bruit stressant. Une femme se tenait derrière, l'air rêche, coiffée d'un chignon, des lunettes sur son visage aquilin qu'elle réajusta en regardant le monospace, sa blouse blanche s'arrêtait assez haut sur ses longues jambes fines. Le docteur manifesta son impatience, de nouveau, en réajustant ses lunettes comme une sorte de tic maladif, avant de s'arrêter quand les portières du véhicule s'ouvrirent.

Warren Mills fut le premier à sortir du véhicule, après avoir coupé le contact, aussitôt imité par sa femme dont l'impatience s'était manifestée subitement, un claquement de portière qui lui valut un regard de surprise de la part de la femme en blouse. Mary, non concernée par ce qui se passait, continua de fixer la banquette arrière sans demander son reste.

-Monsieur et madame Mills, je présume ? demanda la mystérieuse femme en blouse.
Nous ne vous attendions plus… Déjà qu'en temps normal, il est difficile d'accéder à des soins dans notre établissement. Voyez ceci comme une opportunité et non une punition ! Surtout que…

Surtout que quoi ? Personne ne le su car elle ne termina jamais sa phrase. Puis, changeant de ton aussitôt, comme une lunatique, elle reprit plus calmement, s'autorisant même un mince sourire qui n'avait rien de rassurant.

-Quoiqu'il en soit, bienvenue. Je suis Sophia Stawniak, assistante du docteur Strange dans ce secteur, et médecin supérieur, en charge des patients du centre psychiatrique Santa Maria.

Le docteur s'était présenté à la vitesse de l'éclair et invitait déjà le couple à la suivre, accompagné d'un signe de tête pour les inviter à entrer. Charmante façon de procéder, pensa madame Mills en ne la quittant pas des yeux. Si elle avait été jusque-là silencieuse, pendant le trajet, elle se sentait maintenant d'humeur à faire la causette. Son sens de la répartie la démangeait déjà. Elle aurait souhaité lui dire que merci, mais non merci, ils n'avaient pas besoin de leur aide, ni eux, ni Mary. Mais c'était faux. Croisant le regard de son mari, elle ne fit rien et se contenta d'un profond soupir, tandis qu'il faisait sortir Mary de la voiture. La pauvre était encore groggy. Satanés médicaments pharmaceutique. A la base, c'était un traitement qui permettait de gérer les terreurs nocturnes, tout en aidant les patients à dormir. En réalité, c'était un dérivé de drogue qui

Concernant l'apparence de l'hôpital psychiatrique, la ressemblance s'éloignait de celui d'un hôpital traditionnel. La bâtisse avait un faux air de manoir, son aspect de brique accentuait un sentiment d'enfermement constant, comme une prison. Le lierre s'incrustait dans la brique comme un parasite sur le dos d'un animal et rendait l'aspect du lieu sinistre et négligé. Cependant, le jardin et ses buissons taillés étaient magnifiques. Une vraie merveille. En son sein, différentes fleurs étaient parsemés et embellissaient le lieu. Des tulipes, des hortensias, des Iris, des Rhododendrons et de magnifiques rosiers se tenaient fièrement dans le sol. Plus loin, au milieu de la cour en graviers, un chêne se dressait lui aussi avec une étonnante vivacité. Les chemins était bien dégagés et il y avait même des bancs, se dit Warren en détaillant le paysage. A ce moment-là, il aurait tellement aimé en faire part à Mary ou simplement dire à sa femme: "Tiens, chérie, en voilà un endroit magnifique !". Mais rien ne lui vint lorsqu'il se tourna vers sa femme, toujours en proie à cette détresse qu'elle n'avait su quitter depuis des jours.


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