[Phase 01] Une dernière danse

- Aoutch ...

Maggie porta son index à sa bouche et pompa le sang qui s'écoulait de la coupure qu'elle venait de se faire en tentant de débarrasser les plus gros morceaux de verre. Elle avait pourtant pris ses précautions en saisissant l'éclat brisé désormais tâché d'hémoglobine, mais il était aussi fin qu'aiguisé. Quelle idiote ... murmura t-elle en se dirigeant finalement vers le placard à balais. Produits ménagers, balais, aspirateur, serpillière, tout le nécessaire de nettoyage était réuni au même endroit. Elle s'empara d'un balais aux robustes poils en plastique, ainsi que d'une petite pelle, puis retourna faire de l'ordre dans le salon.

Débarrasser le béton ciré des morceaux de verre était l'occasion pour Maggie de se perdre dans ses pensées. C'était la première fois que Katherine se montrait aussi colérique avec elle. Pourtant, il ne lui semblait pas lui avoir été particulièrement désagréable ou incisive avec, son comportement, bien qu'elle puisse le comprendre en raison de son passé tumultueux, restait difficilement pardonnable. En dehors du fait que cette table basse leur avait coûté un rein, l'une d'elle aurait pu se blesser. Mais par dessus tout, cet acte était d'une violence inouïe. Tout en rassemblant les bouts de verre, elle jeta un regard mauvais à la porte du bureau de Kate, de l'autre côté de la gigantesque pièce. Pas de ça dans cette maison, se promit l'inspectrice. Elle laissait à Kate le temps de se calmer, puis les deux femmes auront une discussion sérieuse à ce sujet.

Une dizaine de minutes plus tard, Maggie s'installait confortablement dans le canapé d'angle en cuir blanc. Elle ralluma la télé à l'aide de la télécommande qu'elle avait retrouvé par terre un peu plus tôt, renversée par la chute de la table. Dieu merci elle fonctionnait encore, se relever pour aller enclencher le bouton de la télévision lui semblait un effort quasiment impossible à consentir alors que minuit approchait. Lexi lui bondit alors dessus par surprise. Le félin à peine adulte la sonda de son éternel regard plein de jugement, sa queue se baladait de droite à gauche en rythme. Après quelques secondes passées à fixer sa maîtresse, elle lâcha un miaulement aiguë à moitié étranglé puis se mît à pétrir le ventre de Maggie avec ses griffes pour s'installer. A son grand bonheur, la compagne de Kate portait un vieux sweatshirt à capuche des Gotham Knights, ça n'avait donc rien de douloureux. Le chat s'allongea ensuite de tout son long sur la poitrine de sa maîtresse, puis parvint à lécher son visage du bout de la langue.

- Non ! protesta Maggie en tournant la tête, l'air amusée. Heureusement que Kate n'était pas là, elle aurait encore eu droit à l'habituelle rengaine. "Pas de bisous ce soir, c'est dégueulasse."

A la télévision, toujours la même couverture médiatique autour des événements de la soirée. Il était inquiétant, et incroyable à la fois qu'autant d'attaques se produisent en simultanée sur la ville. Maggie ne parvenait toujours pas à réaliser que le commissariat central avait été attaqué. La crainte et l'appréhension lui rongeaient l'estomac, et elle était à deux doigts de se changer pour aller prêter main-forte à ses collègues, mais Kate avait besoin d'elle à la maison ... Maggie manqua de s'étouffer lorsque les images de la télévision dévoilèrent finalement une justicière aux cheveux rouges filer à travers le trafic gothamite sur sa moto.

- ... Deux ans que la Batwoman n'avait pas été aperçu en ville, Kerry, et la voilà qui sort de sa tanière pour rejoindre les autres justiciers de cette ville dans ce qui semble être la plus grande crise jamais traversée par la ville de Gotham !
- Mais qu'est-ce que ... s'emporta Maggie en se relevant d'un bond, faisant détaler le chat à travers le salon. Kate ! hurla t'elle en se dirigeant vers la porte du bureau. Elle tourna une première fois la poignée. C'était verrouillé. Elle se retourna, et se dirigea vers la boîte à clés, à proximité de la porte d'entrée. Elle conservait un double clé qu'elle avait juré de n'utiliser qu'en cas d’extrême urgence. Elle glissa la clé dans la serrure, fît deux tours et repoussa violemment la porte.

Elle remarqua d'abord l'absence du costume qui habillait habituellement le mannequin, puis son regard se porta vers la fenêtre ouverte, laissant les rideaux virevolter au gré des courants d'air. Le courant se coupa, et Maggie fut plongée dans le noir, partagée entre colère et fierté.




Après s'être assurée d'avoir semé l’hélicoptère de la chaîne de télévision "Channel 52", Kate emprunta à nouveau les axes principaux de la ville et se dirigea vers la périphérie de la ville à toute allure. Elle arriva en quelques minutes au Manoir Wayne, et dérapa longuement devant le parvis de l'immense édifice. Tout le monde était sûrement déjà dehors, mais Alfred lui, était encore dans le coin à coup sûr. Il avait l'habitude d'assister Bruce dans ses opérations nocturnes, et il ne faisait aucun doute qu'elle trouverait l'attachant majordome sur son gros siège de cuir, face aux écrans de la Batcave.

Sans aucune hésitation, Kate poussa les doubles portes du Manoir et se dirigea vers l'accès à la Batcave. Elle retira son gant, et passa la main sur le détecteur palmaire, heureuse de constater que Bruce ne lui avait pas retiré ses accès. Certainement qu'il avait toujours su qu'elle reviendrait. Lors de la descente de l'ascenseur, elle esquissa un sourire à la simple idée d'imaginer Alfred lui asséner son fameux "Je vous l'avais bien dit, Miss Kane.".

Lorsque les portes s'ouvrirent, elle se dirigea d'un pas assuré vers l'objet de sa convoitise. Ils avaient des hélicoptères ? Très bien. Au fond de la grotte, à proximité de la sortie, elle pouvait apercevoir la plateforme de stationnement de la Batwing et les arrêtes mat et saillantes de celle-ci, qui l'attendait, bien à sa place.

Elle trouva finalement Alfred là où elle s'attendait à le trouver, devant le poste de contrôle. Elle retira le loup qui masquait ses yeux, et plongea son regard dans celui du vieux Majordome.

- Je sais... fît-elle un peu honteuse, ne sachant pas vraiment comment réagir, avant de le supplier, l'ombre d'un sourire au coin des lèvres. Je ne pouvais pas rester à faire ... Alors, elle se fît toute timide. Ne dites rien. Elle porta ensuite son regard vers la Batwing, au fond de la grotte. Je crois savoir ce qui pourrait faire plaisir à nos invités. Elle n'avait aucune idée de comment piloter l'engin, mais ce dernier était doté d'un système de pilotage à distance qu'Alfred avait l'habitude d'utiliser pour assister le Chevalier Noir dans ses missions. Me feriez-vous l'honneur d'une dernière danse ? demanda t'elle d'un ton amusé qui ne lui ressemblait pas. Cette Batwing était l'occasion rêvée pour mettre un bon coup dans la fourmilière.

- La piste est la votre, déclara le vieux majordome tandis que l'habitacle pressurisé en verre se décapotait, accompagné du sifflement des verrins hydrauliques.
- Alfred, une dernière chose. Kate masqua son regard déterminé derrière son loup. Une fois là-bas j'agirai seule, j'ai quelque chose à régler, déclara t'elle finalement avant de bondir à l'intérieur de l'appareil en empruntant l'escabeau de piste qui y était apposé. Pas un mot à Bruce, d'accord ? insista la justicière en prenant place sur le siège confortable, bien qu'un peu à l'étroit.

Face à elle, une multitude de commandes, boutons et leviers. Un joystick se trouvait entre ses jambes, certainement celui qu'il fallait manier pour piloter l'engin. La maîtrise d'un tel appareil demandait une habileté hors norme et nécessitait une véritable maîtrise. Il était inconcevable de s'improviser pilote comme dans ces films d'action ou d'espionnage qu'elle voyait au cinéma ou à la télévision. Heureusement, la justicière était très certainement accompagnée du binôme rêvé, et le Collimateur Tête Haute se superposa à la verrière tandis qu'Alfred mettait en route les systèmes principaux de la Batwing. Les informations des divers instruments de bord ne tardèrent pas à s'afficher sous les yeux ébahis de Katherine : Altitude, vitesse, horizon artificielle, instruments de détection, conduite de tir ... Tout était en superposition avec le monde extérieure, assurant une visibilité parfaite de l'environnement. Les réacteurs se mirent à vrombir et une délicieuse sensation d'appréhension naquit dans le bas ventre de la justicière, toute excitée d'affronter le ciel.

- Wow ... Si Mary était là, elle m'aurait déjà donné un surnom. Genre ... Skykid ? Alfred ne répondit pas, certainement bien trop concentré sur les contrôles préliminaires au décollage. Kate se senti à moitié idiote. On se contentera de Batwoman ... Après tout, il n'est pas question de danser avec les anges toute la soirée ...

Le son de sa voix s'étouffa peu à peu tandis que les réacteurs hurlaient de plus en plus fort. La Batwing s'éleva dans le repaire souterrain à l'aide d'une poussée verticale, puis obliqua à l'horizontale pour finalement se diriger vers la sortie. L'appareil passa sous une colonne d'eau, puis aussitôt à l'extérieur, poussa plein gaz pour s'en aller en direction d'Arkham. La poussée fût si brutale qu'elle scotcha Kate à son siège, lui arrachant par là-même un cri étouffé de surprise.

- C'est ... dingue ! hurla t'elle finalement tandis qu'ils prenaient de l'altitude. Un écran jusqu'à présent éteint entre les genoux de Kate s'illumina. Le logo "Waynetech 7.0" s'afficha et effectua une rotation rapide sur lui même avant de glisser vers le coin supérieur gauche de l'écran. Aussitôt, une prise de vue satellite de Gotham surgit. La Batwing était signalée par un point rouge, filant à toute allure à travers la carte. La vue satellite laissa place à plan bien plus simplifié, bâtiment et voies de circulation étaient désormais tracées en blanc sur un fond noir.
- Destination verrouillée, entonna une voix mélodieuse et synthétique. En approche de l'Asile d'Arkham. Tandis que les premières gouttes de pluies s'abattaient, la Batwing continua de prendre de l'altitude jusqu'à se retrouver au cœur des nuages noirs.

En raison de l'altitude et des paramètres atmosphériques, de minuscules cristaux de glace se commençaient à se former tout autour de la verrière tandis que l'appareil filait à toute allure, transperçant l'air saturé en vapeur d'eau, l'excès de vapeur se condensant en minuscules gouttelettes qui déperlaient le long de la vitre. L'aéronef, bien que peu soumis aux dépressions et autres turbulences atmosphériques en raison de sa petite taille, étaient malgré tout brutalement bousculée par les courants d'airs ascendants et descendants qui exerçaient des pressions incohérentes à la voilure bien que renfermée sur elle-même. La Batwing fût soumises à de violentes secousses, en raison de l'incroyable vitesse à laquelle elle filait, la soumettant à des facteurs de charge de plus en plus importants tandis que de minuscules éclairs éclataient au sein de la masse nuageuse qu'ils traversaient. Décision astucieuse d'Alfred, songea Kate. Et elle ne pensait pas si bien dire. En effet, il était peu probable que leur adversaire soit doté de système radar. Invisibles à l’œil nu, ne pouvant s'orienter qu'en fonction du son effroyable des réacteurs, leur adversaire ne pourrait pas suffisamment anticiper leur attaque, aussi bien équipé soit-il.

Après quelques secondes, Alfred fît finalement émerger la Batwing des nuages, et celle-ci piqua du nez tout en réduisant sa vitesse pour permettre l'éjection de Kate sans qu'elle ne subisse trop d'accélération en raison du facteur charge encaissé par l'aéronef. C'est à ce moment précis que Kate songea qu'elle allait pour la première fois de sa vie s'éjecter d'un appareil en plein vol.

- Je suis certainement trop vieille pour ça, s'inquiéta t'elle à demi-mot tandis qu'Alfred lui donnait le signal.

En un battement cardiaque, Katherine enclencha la poignée d'éjection qui s'illumina. Soudain, la verrière s'écarte à l'aide de petites charges propulsives et d'un système de vérin. Le vent qui s'engouffra dans l'habitacle manqua d'assourdir Kate et tandis que l'air terminait de soulever la vitre, le siège sur lequel se trouvait se retrouva propulsé à l'extérieur de la Batwing, arrachant un cri de surprise à Katherine qui senti son cœur s'arracher et son corps se comprimer l'espace d'une demi seconde. Demi seconde durant laquelle elle trouva la lucidité pour détacher la boucle du harnais qui la maintenait assise sur le siège tout en hurlant sous l'effet insupportable et terriblement désagréable de l'accélération qui tassait ses vertèbres. Le souffle court, presque incapable de respirer, se trouvant dans l'incapacité de se redresser, elle amorça sa chute d'une centaine de mètres. Le vent qui s'était engouffré dans l'habitacle et qui avait balayé son visage suite à l'éjection avait inondé ses yeux de larmes, et c'est lorsqu'elle se vit finalement mourir qu'elle frotta ses doigts gantés, composés d'une matière électrostatique pour tenter de rigidifier sa cape. Mais sa chute incontrôlée, en raison d'un manque flagrant d'entraînement à la chute opérationnelle l'empêcha de réussir une première fois. Partagée entre l'incompréhension et un sentiment naissant de terreur au fond d'elle-même, elle tenta une seconde fois de rigidifier sa cape. Nouvel échec. Cette fois-ci elle ne pu contenir un long cri d'horreur.

80 mètres

- Allez ... grogna difficilement Katherine.

...

70 mètres

- Allez ! insista t'elle, tandis qu'elle s'emmêlait un bras dans sa cape, et se déséquilibrait en tentant se défaire de son emprise, pivotant sur elle-même plusieurs fois. Merde ! Hurla t'elle.

...


40 mètres

Le vent semblait lui lacérer le visage, et son cœur était prêt à exploser.

...


30 mètres

...


- Alfred je vais m'écraser ! hurla finalement Katherine dans une ultime complainte aussi déchirante que terrifiante.

Mais à quelques mètre d'un manoir d'Arkham, elle parvint finalement à rigidifier sa cape et à reprendre une trajectoire courbe, puis rectiligne. Le changement brutal de trajectoire fût une sensation désagréable et lui arracha un grognement, suivi d'une longue expiration soulagée tandis qu'elle se laissait tranquillement porter par le vent pour atterrir à proximité de l'enceinte de l'établissement, à flanc de falaise.

- J'ai ... J'ai réussi ... hoqueta Katherine en manquant de s'écrouler à la réception. Alfred ... La prochaine fois que je tente de me suicider ... Elle peinait à retrouver son souffle. Par pitié, essayez au moins de m'en empêcher.  Elle tomba finalement à genoux, exténuée. Wow ! lâcha t'elle finalement, incapable de sentir son visage qui paraissait gelé.

Elle leva un regard vers le ciel orageux, et aperçu la traînée de la Batwing qui n'allait pas tarder à se débarrasser des deux hélicoptères qui occupaient l'espace aérien d'Arkham, puis se releva, bien décidée à passer à la suite de son plan.