La salle est pleine. Au milieu de tous ces visages aux traits flous, les costumes et accessoires que certains portent au dessus de leur tenue me rappellent qui ils sont. Je parviens à poser quelques noms, d’autres restent des inconnus au milieu de la foule. Pourquoi n’y a t-il pas de visage clair? Tout est si flou. Autour de nous s’élèvent les épaisses colonnes de marbres blancs dont la hauteur vertigineuse, semblant vouloir essayer d’atteindre l'au delà, me donne un peu la nausé. La lumière qui vient de l’extérieur en traversant les vitres colorés couverts de motifs religieux plonge la pièce dans un léger bleue, quelque chose de très pure, quelque chose qui emplit tout l’espace et mon âme. Je vais bien. Je suis heureuse. C’est le plus beau jour de ma vie. Je vais me marier. Je vais bien. Je suis heureuse?
Je pose une main sur mon ventre alors que je pose un pied dans l’église, avançant à travers l’allée au milieu des invités, de leur regard. Je souris. C’est le plus beau jour de ma vie. Je vais me marier. Aujourd’hui se réalise mon rêve le plus ancien, le plus profond. Petite, c’est tout ce que je voulais. Avoir cette journée rien que pour moi, cette journée où j’aurais le droit d’être la plus belle des princesses pour me marier au prince charmant de mes rêves. Ma robe est parfaite. Comme je l’ai toujours imaginée. Blanche, bouffante, marquée de losanges roses de ci et là… Un diadème sur ma tête, un long voile qui tombe jusqu’à la moitié de mon dos et se soulève légèrement à chacun de mes pas. Je prend une grande inspiration et traverse l’allée dans un silence respectueux. Mon père est à mes côtés. Non? Non, il n’y a personne, que moi et ma belle robe, un bouquet de rose rouge et noir dans les mains. Je continue de marcher. Les colonnes de marbres semblent toujours plus hautes, la foule toujours plus nombreuses, tout est écrasant, asphyxiant. L’angoisse me noue l’estomac. Mais j’y suis presque. Plus que quelques pas et déjà je l'aperçois. Cette tâche de violet et de vert si violente au milieu des douces couleurs pastels qui règnent autour de nous. Il a toujours été comme ça après tout, celui qui brille au milieu d’une foule terne, celui qui attire tous les regards et dont on ne peut décrocher les yeux. Il sourit et un doux rose vient colorer mes joues habituellement si pâle. Moi, en tout cas, je n’ai jamais réussi à décrocher mes yeux de ce sourire. Je pose mon pied sur la première marche, commence à monter vers l’autel où m’attend mon prince charmant, l’homme de mes rêves. La douleur dans mon estomac se fait encore plus forte, plus violente. J’aurais pensé que sa présence aurait calmé mes angoisses mais qu’importe, lorsque chacun aura dit oui il ne restera que l’allégresse du moment. N’est ce pas? Après tout je vais me marier. C’est le plus beau jour de ma vie.
“Harley”
Sa voix susurre à mon oreille, enivrante. Je souris mais la douleur est toujours présente, se fait même explosive Je sens des boums et des bangs agiter mon coeur blessé. Une véritable armée parée d’explosifs, prêt à tout faire exploser. Je continue de le fixer, pensant que la vue de son beau sourire calmera mes douleurs mais rien. La douleur reste.
“Puddin.”
Son doux sourire se change alors en rictus sordide, quelque chose de puissant qui emplit rapidement toute la pièce, se glisse dans l’esprit chacun et plus particulièrement dans le mien. La douleur dans mon coeur se fait plus perçante. J’inspire profondément, cherche à calmer le tremblement qui commence à me prendre. Des images me reviennent. Des soirées passées à pleurer seule dans l’une de nos vieilles planques si sombres et froides. Des moments de profondes solitudes passés à nettoyer les plaies et panser les blessures qu’il m’a laissé. Chacune des cicatrices qu’il a laissé sur ce corps que je lui avais donné semble soudain se raviver. Ma raison vacille et tangue. Elle est prête à chavirer. Sous les coups de boomerangs de flash-back enchaînés. Et l’idée que je vais me marier me semble à chaque instant une plus mauvaise idée. Je secoue la tête, tente de reprendre mes esprits. Je suis heureuse. C’est le plus beau jour de ma vie. Je vais me marier avec l’homme de mes rêves, celui que j’aime et pour qui je suis prête à donner ma vie. Oui! Avec lui c’est à la vie et à la mort. C’est une fidélité sans faille jusqu’à la tombe. Ma tombe. Celle qu’il va me creuser. Un jour, lorsque ni les insultes ni les coups ne seront assez pour calmer la colère, il prendra un pistolet et baam! C’en sera fini pour moi. Je ne veux pas y penser. Je me répéte encore et encore ces mots. Je suis heureuse. C’est l’homme de ma vie. Pourquoi tout sonne si faux? Pourquoi les larmes coulent-elles en abondance sur mes joues? Pourquoi j’ai si mal.
“Non, non… Non!”
Je me bouche les oreilles, hurlant, cherchant à tout pris à faire reculer ces pensées qui ont pris le dessus dans mon esprit. Ces voix qui me disent de reculer, de m’enfuir avant qu’il ne soit trop tard et de partir loin de lui, très loin, là ou il ne pourra plus jamais m’atteindre. J’ai mal au ventre, si mal. Je ne peux pas partir. Qu’est ce que je ferais seule, moi je ne suis rien sans lui, je n’étais rien avant de le rencontrer et je ne serais plus rien si il me quittait. Il m’a créé. Je l’aime. Plus que tout au monde je l’aime. Plus que moi-même. Alors oui, parfois il peut se montrer un peu méchant lorsqu’il est énervé mais ce n’est pas de sa faute. Le pauvre n’a pas eu une vie toujours facile, surtout avec ce salaud de Batman qui se met toujours en travers de notre chemin. Alors c’est sûr que quand je fais une erreur, il est tendu mais c’est de ma faute aussi. Il faut le voir aussi quand il me prend dans ses bras pour s’excuser, qu’il me murmure qu’il ne le refera plus jamais et qu’il a besoin de moi. Ca vaut le coup au final? Il est le plus grand homme dont je ne puisse jamais espérer l’amour.
“Harley, tu sais bien que ce n’est pas de l’amour ce que le Joker éprouve pour toi, tu en as vu des femmes dans ton cas en école de psychologie. Tu sais très bien les relation qui sont en jeux dans ce genre de couple. Tu sais que tu dois t’en sortir. Tu sais qu’il y a une autre voie, hein?” La voix est féminine. La mienne? Non, plus douce, plus calme et posée que la mienne n’a jamais été. Je sais très bien à qui cette voix appartient mais l’idée me semble trop stupide. Trop irréelle. Trop belle aussi?
“On aurait pu rester ensemble, continuer nos coups à deux. Pourquoi es-tu partie? -Tu ne peux pas comprendre, il avait besoin de moi. Je lui manquais beaucoup! -Alors tu m’as abandonné pour un homme qui n’a aucun respect pour ta personne juste parce qu’il te l’a demandé? Les gens ont raison. Je pensais que ce n’était que des rumeurs mais c’était vraie. Tu n’es qu’un petit chien qui accourt au moindre mot de son maître, prêt à servir malgré tous les coups de pieds qu’il se prend. -Arrête s’il te plait…”
La foule un mot silencieuse se fait maintenant grouillante de bruit, amoncellement de messes basses que chacun fait à son voisin. Ils parlent de moi, ils parlent tous de moi. Ils se moquent, me regardent de haut. Je n’en peux plus. Le bruit, la douleur. Je me sens prête à tomber, pourquoi ne m’aide-t-il pas, ne me protège-t-il pas? Tout ce que je demande est une main tendu. Mais rien. Alors j’ose relever la tête. Il est là, mon beau prince charmant, l’homme de mes rêves. Il me sourit et m’aide à me relever. Voilà, tout mes troubles s’envolent et il ne reste plus que nous deux et ce que nous partageons. Alors je ferme les yeux, me penche en avant et voilà, nos lèvres se rencontrent. Je crois que le prêtre vient de nous déclarer officiellement mariés mais je ne suis pas bien sûr, prise comme je suis par notre baiser. Il est si tendre et doux. C’est… Étrange, il n’a jamais été comme cela avec moi. Alors je rouvre les yeux et là, c’est une épaisse chevelure rousse et un visage féminin qui m'accueille. C’est elle. Immédiatement, je la repousse, essuyant mes lèvres comme si ça pouvait annuler ce qu’il vient de se passer. Mon coeur bat si fort, si vite pourtant je n’ai pas mal. Non, non, non! J’attrape ma robe et m'enfuis en courant à travers l’allée de l’église. Mon prince charmant pourquoi n’es-tu pas là? Tu ne reviens pas me chercher. Peu à peu je me déglingue, viictime de ta cruauté.
