Le ciel de Gotham City s’assombrissait chaque soir avec une angoisse pesante. La récente évasion en masse de l’asile d’Arkham donnait à voir la sécurité dont on la disait pourvue. On ne savait pas ce qui attendait les citoyens alors que la criminalité était de plus en plus manifeste. Certains criaient, d’autres se taisaient. Jamais les politiques et les services de police ne donnaient une occasion de rassurer sa population. Oh, il y avait bien ici où là quelques discours surfaits et superficiels, mais ils n’étaient jamais de taille à apaiser et les citoyens ne croyaient plus en leurs forces vives. Autant dire que c’était le début de la fin. Et dans ce chaos tonitruant, il fallait que l’âme de Gotham sorte de son trou et montre de quel bois les gothamites devraient bientôt se chauffer pour être protégés.
Oswald Cobblepot avait depuis quelque temps cessé quelques-unes de ses opérations criminelles du fait de l’avènement du chevalier noir. Il les dissimulait sous son club branché. Et pour s’assurer la main mise sur de la mauvaise marchandise, volée, cela allait de soi, il opérait dans l’ombre. Aux yeux de tous, c’était un homme d’affaires qui avait réussi. Un noble descendant de la riche famille des Cobblepot. Dans l’obscurité, il était le Pingouin. Racketteur au marché noir sans vergogne, adepte des plus odieuses tortures et capable du meilleur comme du pire pour assurer la pérennité de ses larcins. Un diable à taille humaine. Une laideur réinventée, dont le cœur avait pourri depuis si longtemps…
Ce soir, le peuple de Gotham ne savait pas qu’on l’eut pu apercevoir à la gare maritime de Ranelagh. Arrivait en bateau depuis les Indes un trésor de pierreries incrustées dont la jade et le polissage rappelait les traits du palmipède duquel Oswald tirait le surnom. Et dans la brume, on entendait ce morceau de métal qui frappait le bitume. Un coup sec à mesure que le criminel se déplaçait. Le bruit interpellait, mais ne se faisait pas remarquer pour autant. Le seul peuple qui l’eut pu entendre, ce furent les mafieux, les ordures qui travaillaient pour le Pingouin et qui avaient nettoyé le terrain avant que de laisser la place au prince de Gotham autoproclamé. Le coffre de bois dans lequel était soigneusement entreposé le bijou n’avait pas été forcé. C’était le Pingouin qui découvrirait le premier cette merveille. Le bruit sourd, continu et métallique provenait ainsi de ce parapluie qui était censé lui épargner d’affreuses douleurs à la hanche, car Cobblepot avait tendance à dandiner quand cette dernière le faisait amèrement souffrir. Ce haut-de-forme caractéristique, d’un noir de jais, son porte-cigarette et son monocle qui lui donnait ce style si particulier de gentleman anglais. Tout était réuni pour qu’on le reconnaisse sans qu’il eut été nécessaire à aucun moment de présenter celui qui s’approchait. Il était entouré de ses gros bras qui le protégeaient et qui étaient armés. Et dans ce silence de mort, une voix nasillarde perça le mutisme angoissant.
« Ainsi donc c’est aujourd’hui qu’arrive par navire privé cette somptueuse statuette. Savez-vous, messieurs, qu’il a fallu plus de trois semaines de travail pour fixer une à une les émeraudes qui font le charme de ce bijou grandeur nature ? Quelle beauté ! Découvrons cela…»
Le Pingouin fit forcer malicieusement, et de manière que rien ne fut remarqué sur le matériau, le coffre de bois et il découvrit l’intérieur. Un assemblage de paille et de papier bulle censé amortir les chutes ou les résonances. Et dissimulé savamment dans cet assemblage, la statuette. Elle eut pu briller de mille feux sous les lumières de l’Iceberg, et c’est là qu’elle irait. Le Pingouin allait la collectionner.
« Il est temps de faire affaire ! J’ai grassement payé celui qui devait amener cela au musée du bijou de Boston… Et comme si cela ne suffisait pas. J’ai prévu mon affaire. Les gars ! »
On amena au Pingouin une réplique parfaite, mais en toc, de la statuette. C’est elle qui ornerait les étagères poussiéreuses du musée. Oswald Cobblepot se retourna devant quatre employés de la Ranelagh qui avaient été retenus en otage par la bande du Pingouin.
« Messieurs, soyez assurés que votre dévotion pour votre entreprise sera récompensée… »
Le Pingouin fit un geste et se retourna. Il quitta les lieux rapidement et s’engouffra dans une camionnette noire. Le silence régna une fois de plus. Quelques sbires étaient restés sur le terrain. Ils servaient sûrement à nettoyer le secteur avant de partir. C’est ce qu’ils firent. Et toujours dans un mutisme insolent et caractéristique d’une ville moderne où le bruit est ambiant, ce furent quatre poids qu’on fixa aux jambes des employés et on les jeta dans la baie de Gotham. Ils nourriraient les poissons. C’était la fameuse récompense dont parlait Le Pingouin….
